La croix, arbre de vie et les fruits de la croix
"Ce panneau représente une croix sur une colline, avec de chaque côté un saint. Saint Barthélémy à gauche a été choisi pour son intérêt catéchétique. En effet, il s’agit d’un des douze apôtres aussi connu dans les évangiles sous le nom de Nathanaël. A droite, il y a sainte Clotilde la patronne de l’Eglise, épouse de Clovis roi des francs, à l’origine de la conversion de son mari au catholicisme.

Les saints sont reliés à la croix par des volutes végétales qui partent de la base de la croix et remplissent le panneau. C’est le thème de la croix, arbre de vie. Ce thème nous a paru bien convenir à Chambourcy qui a pendant un temps été surtout habitée par des arboriculteurs. Les volutes qui remplissent le panneau et qui portent les saints sont inspirées d’une mosaïque très célèbre, médiévale, d’inspiration byzantine qui orne la voûte de l’abside de la basilique saint Clément de Rome, qui a pour thème la croix arbre de vie. C’est en référence à cela qu’il y a aussi au pied de la croix quatre fleuves qui partent, qui évoquent les quatre fleuves du paradis terrestre où se trouvait l’arbre de vie, voir Genèse 2-3. Situés au pied de la croix, cette eau qui jaillit est un symbole du baptême. Dès lors le message est clair. De la croix jaillit le baptême et les autres sacrements ; de cette vie qui jaillit de la croix du Christ, par les sacrements, provient la sainteté qui est un fruit de la croix et toutes les vertus. Voir Ezéchiel 47 : du côté gauche du temple jaillit une source qui assainit tout ce qu’elle pénètre, qui devient un grand fleuve au bord duquel poussent toutes sortes d’arbres fruitiers.

Les fruits représentés sont de cinq sortes. Alors que le reste du panneau est doré, ils se distinguent en étant argentés. Cela fait écho au panneau de face où seul l’agneau est argenté. De Dieu (l’or), viennent, par la sainte humanité du Christ tous les fruits (l’argent).
Tout d’abord : au-dessus de Nathanaël-Barthélémy, des figues et des feuilles de figuier, rappellent la première rencontre de cet apôtre avec Jésus, racontée dans Jean 1. Jésus, voyant Nathanaël lui dit : « Voici un véritable fils d’Israël, un homme qui ne sait pas mentir. » Nathanaël lui dit : « D’où me connais-tu ? » Jésus lui répond : « Quand tu étais sous le figuier je t’ai vu. » C’est en fait une allusion à la Loi ou Torah, c’est-à-dire aux livres saints révélés à Moïse, dont le figuier est le symbole. « Etre sous le figuier » signifie se livrer à l’étude de la Parole de Dieu révélée dans les saintes Ecritures du peuple juif. C’est pourquoi l’on a représenté Nathanaël en train de lire l’Ecriture sous le figuier. Devant la parole de connaissance de Jésus il dira : « Rabbi tu es le Messie, tu es le roi d’Israël ». On sent tout cet acte de foi en germination en lui tandis qu’il lit l’Ecriture et contemple la croix.
Le message d’ensemble, reliant le figuier à la croix, est alors le suivant : dans les écritures de l’ancien testament, c’était déjà le Christ qui agissait et sauvait (voir 1 Corinthiens 10, 4 « Ils buvaient à un rocher spirituel qui les accompagnait et ce rocher c’était déjà le Christ ») par avance et ce déjà en vertu de son sacrifice sur la croix. La révélation divine de l’ancien testament est donc, elle aussi, par avance un fruit de la croix.
Deuxième fruit : deux grappes de raisin ornent une petite volute aux pieds de Nathanaël. La raison en est la suivante : Nathanaël est le seul apôtre dont on nous dit qu’il est originaire de Cana en Galilée. Les deux grappes sont une allusion au premier miracle de Jésus, quand, à la demande de sa mère, il a transformé l’eau en vin pour répondre au manque de vin lors de noces dans ce village. Le vin nouveau se révèle alors supérieur à l’ancien. Ce qui signifie que la présence de Jésus vient accomplir les promesses de l’ancien testament et donner à l’humanité l’amour et la joie qui lui manquent pour entrer pleinement dans l’alliance nuptiale que Dieu lui propose. Ces promesses ne seront accomplies pleinement que sur la croix, c’est pourquoi Jésus dit d’abord à Marie : « Femme, que me veux-tu, mon heure n’est pas encore venue. » L’heure, c’est l’heure de la croix, donc de l’accomplissement. Il y a donc un passage de l’ancienne à la nouvelle alliance en Jésus, dont les disciples présents sont témoins. Le texte conclut ainsi le récit : « Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » Etant donné que Nathanaël a déjà été appelé par Jésus et qu’il est originaire de Cana, il est pratiquement certain que celui-ci était présent à ces noces et qu’il fut donc le témoin de ce premier miracle. Sur la sculpture le regard de Nathanaël est en même temps tourné vers le rouleau des Ecritures qu’il tient mais aussi vers les deux grappes et enfin tourné vers la croix. Le miracle de Cana annonce déjà l’heure de l’alliance définitive sur la croix.
De l’autre côté, sur une petite volute, devant sainte Clotilde se trouvent non des fruits mais des fleurs. Trois fleurs de lys rappellent la légende des lys, située par un poème d’un moine du XIVème siècle à Chambourcy, dans un vallon près d’un ruisseau. C’est pourquoi les lys poussent près d’un des quatre fleuves qui jaillissent de la croix. La légende des lys affirme que Dieu aurait demandé à Clovis par une succession d’intermédiaires : un ange, un ermite qui vivait là et enfin sa femme, Clotilde, de changer l’emblème de son étendard, constitué alors de trois crapauds, pour trois fleurs de lys. Cette histoire illustre la volonté de la royauté capétienne, sous l’influence de Suger, de se rattacher à Clovis, premier roi chrétien et de consacrer le royaume à la Vierge Marie, dont le lys symbolise la pureté. Les trois fleurs de lys représentent encore la Trinité. Le fond historique certain est le rôle de Clotilde dans la conversion de son mari au catholicisme et par-là dans le passage de la royauté franque du paganisme au christianisme. L’allusion au baptême prend dès lors tout son sens. Du baptême jaillit une pureté et une sainteté nouvelle. Clotilde se tient devant les fleurs qui sont à ses pieds ; elle offre sa couronne royale et nous regarde. Comme si elle nous disait ce qu’a dit Jean Paul II lors de son premier voyage en France : « France, fille aînée de l’Eglise, qu’as-tu fait de ton baptême ? »
Quatrièmes fruits au sens propre représentés : deux poires, sur un poirier derrière Clotilde. Elles représentent spécifiquement les villes de Chambourcy et d’Aigremont, invitées par la sainte patronne de leur paroisse à être fidèles.
Le cinquième fruit est en fait les saints eux-mêmes. C’est pourquoi ils sont aussi argentés. En revanche la couronne de Clotilde est dorée et non argentée, ainsi que le rouleau de Barthélémy. La Parole de Dieu vient de Lui, il en est l’auteur premier, avant l’auteur humain inspiré. De même tout pouvoir terrestre est donné directement par Dieu. Un tel pouvoir est représenté par la couronne de Clotilde. « Tu n’aurais aucun pouvoir si tu ne l’avais reçu de mon Père dit Jésus à Pilate. » C’est pour marquer ce lien direct avec Dieu que ces deux éléments ont été dorés.

Quelques remarques supplémentaires pourraient être faites.
Au paradis terrestre, il y avait un homme et une femme, Adam et Eve. Ici nous trouvons un homme et une femme, rachetés par le baptême issu de la croix, véritable arbre de vie, dont celui du paradis terrestre était l’annonce, et établis par Dieu dans la sainteté, une sainteté reconnue par leurs contemporains. Ils représentent ainsi toute l’humanité rachetée par le sacrifice du Christ. Ce thème fait écho à un des vitraux du choeur de l’église.

La croix est sur une colline, ce qui rappelle que Chambourcy est sur une hauteur mais qui rappelle plus encore les montagnes bibliques : la montagne du Sinaï, lieu de la révélation de Dieu à Moïse et au peuple, lieu aussi du don de la Loi ; la montagne du carmel, lieu où Elie défendra le vrai Dieu contre les idoles ; la montagne de Jérusalem, lieu unique du culte de Dieu et des sacrifices, depuis le roi Josias jusqu’à Jésus.

Clotilde offre sa couronne et d’autre part Nathanaël lit l’Ecriture et nous pouvons y lire une image de l’Eucharistie et des deux participations au sacerdoce du Christ. Nathanaël rappelle le sacerdoce ministériel, celui des prêtres, qui enseignent la Parole de Dieu et célèbrent le sacrifice eucharistique, et Clotilde la participation des laïcs, dont le sacerdoce baptismal consiste à offrir toute leur vie et leurs responsabilités, comme la couronne de Clotilde, en sacrifice saint à Dieu et à faire de ce monde une offrande. C’est le mouvement de l’Eucharistie où Jésus nous entraîne dans son offrande d’Amour.

Sur la sculpture Clotilde semble enceinte. Concrètement Clotilde suivra Jésus d’abord en témoignant auprès de Clovis de sa foi et en exigeant le baptême de son enfant. C’est un peu comme si elle offrait sa maternité. Ce premier enfant mourra de maladie et Clovis lui dira : s’il avait été consacré à mes dieux il ne serait pas mort. Pourtant elle persévèrera et fera baptiser son deuxième enfant. Quand celui-ci aussi tombe malade, Clovis annonce : il va mourir comme l’autre. Mais les prières de Clotilde obtiennent alors sa guérison. Elle suivra encore Jésus de près dans sa maternité, en vivant certains épisodes dramatiques après la mort de Clovis. Elle verra un de ses propres fils égorger ses neveux pour régler une querelle de succession du pouvoir. Ces querelles étaient ancrées dans les traditions païennes des francs, qui considéraient à l’origine que le pouvoir appartenait à celui que leur dieu païen de la guerre (Wotan) avait investi et qui était celui qui se révélerait le plus fort. Clotilde suivra donc Jésus jusque dans sa passion faisant ainsi à plusieurs reprises comme l’offrande de sa maternité.

La croix et toutes les parties dorées qui représentent Dieu semblent s’effacer devant les parties argentées qui représentent notre humanité. Dieu et son Esprit préfèrent comme se cacher pour agir et passer par les hommes. Dieu choisit d’agir par l’humanité, et par son Eglise. De Lui nous ne voyons aujourd’hui que les fruits de vertu et de sainteté qui indiquent la présence de son oeuvre de salut.

On peut aussi faire une lecture chronologique et géographique de ce panneau en bas-relief et s’apercevoir que la petite volute en spirale en haut à gauche est tournée vers l’arrière. Or la spirale peut évoquer comme une plénitude et une durée, comme si l’arbre remplissait tout le temps qui précède l’ancien testament. Le sacrifice du Christ rejoint tous les hommes qui sont nés avant lui et même avant l’ancien testament. Du côté de Clotilde la volute en spirale n’est pas symétrique à l’autre mais tournée vers la gauche en répondant au dessin du poirier, comme si elle évoquait davantage l’extension géographique universelle du salut : à Chambourcy et Aigremont et en tous lieux de l’univers. Le royaume des cieux est d’abord une petite graine a dit Jésus, mais ensuite il devient un grand arbre qui remplit tout l’univers et les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches.

Le fond d’autel répond intégralement aux quatre vitraux du choeur de l’église et ce sans que cela ait été voulu au départ. Ceux-ci représentent en effet : Saint Barthélémy et ses reliques portées en procession, sainte Clotilde et la légende des lys, l’arbre de vie du paradis terrestre avec un homme et une femme rachetés par le baptême qui offrent des fruits, et enfin le baptême du Christ par Jean Baptiste.

On peut enfin faire une lecture eucharistique de l’ensemble du panneau qui a pour vocation d’orner l’autel, lieu de la célébration eucharistique. L’Eucharistie rend présente la croix du Christ d’où jaillissent tous les autres sacrements dont tout d’abord le baptême qui nous communique le premier le salut. Les grappes rappellent le miracle de Cana, un miracle qui annonce l’Eucharistie dans laquelle le pain et le vin sont transformés en la présence réelle et substantielle de Jésus. « L’Eucharistie est la source et le sommet de la vie de l’Eglise. » nous enseigne Vatican II. Elle nous invite à écouter la parole de Dieu et à faire, nous aussi, par le Christ de notre vie une offrande sainte."
+ Père Rémy Houette, curé de Chambourcy et Aigremont, le 28 février 2009.